Devant Nuit Blanche, sensation du dernier TIFF où tous les gros studios ont voulu acheter les droits pour un remake en quelques heures après la première projection, on a un peu de mal à réaliser qu’il s’agit du nouveau film de Frédéric Jardin, réalisateur jusque là spécialisé dans les comédies pas drôles dont le dernier exploit en date remontait à Cravate Club en 2002. Non pas qu’il soit passé de médiocre à génial, Nuit Blanche n’étant pas vraiment une réussite totale, mais la progression est stupéfiante. Nuit Blanche c’est le nouveau film labellisé “polar hard boiled made in France” et on ne va pas s’en plaindre quand on voit que des réalisateurs prennent enfin le temps de se replonger dans un genre qui aura fait les plus beaux jours du cinéma populaire français. Seule ombre au tableau, et de taille en plus, un certain Fred Cavayé a pondu l’an dernier une espèce de morceau de bravoure extraordinaire qui semble filer des complexes à tout le monde. Des complexes mais également un modèle à suivre, et il est clair que si Nuit Blanche souffre de la comparaison avec A Bout portant, il est issu de cette dynamique-là, celle de l’adrénaline moteur de l’action. Et si l’ensemble reste assez instable, car les décisions artistiques prises sont casse-gueules et ne passent pas toutes, le film possède un charme indéniable.
Nuit Blanche c’est un film de paris, à tel point qu’il ne pouvait qu’en perdre certains. Le premier évident est celui de faire un huis clos se déroulant à toute vitesse et en quasi temps réel dans une boîte de nuit. Un autre d’imposer une caméra à l’épaule tout en cherchant de la belle image. Enfin, et pas des moindre, faire des choix de casting improbables. À l’arrivée il y a du déchet et tout ne fonctionne pas. La grande force de Nuit Blanche est clairement son rythme ultra-soutenu, avec seulement quelques respirations nécessaires. Dans l’ensemble, ça file à toute allure, trop vite parfois pour rester lisible dans l’action. Si on peut faire un autre gros compliemnt à Frédéric Jardin c’est dans sa gestion du lieu de l’action. On ne sort que rarement de la discothèque, immense, mais à l’intérieur on sait en permanence à quel endroit on se trouve. Pour cela il use d’une mise en place très efficace en suivant de près l’entrée de son personnage principal. L’idée est simplement de délimiter l’espace, les niveaux et la superficie du lieu. C’est plus compliqué pour les personnages car ils sont nombreux et pas tous traités sur un pied d’égalité. Le seul à s’en sortir vraiment bien est celui de Tomer Sisley car il est loin d’être monolithique et se dévoile peu à peu sous un nouveau jour. C’est d’ailleurs un beau pari que de lui avoir offert ce rôle à lui qui peine toujours à se sortir de personnages qui lui collent à la peau. Ce n’est pas la même histoire pour tous ceux qui gravitent autour de lui. Entre la flic qui se fait balader, le ripoux, le vieux gangster, le voyou plus moderne et les hommes de main, on navigue au milieu d’archétypes peu évolutifs. L’avantage est que cela permet à certains acteurs de faire le show, dont Joey Starr bien sur qui impressionne dans cette interprétation de sa propre caricature. Nuit Blanche est ainsi bourré d’idées à tous les niveaux, y compris dans un scénario qui va également très loin, voire trop, dans ses rebondissements qui font parfois plus que friser le ridicule. Cette tendance au too much écorche sérieusement la patine réaliste recherchée par l’utilisation de la caméra à l’épaule. Cependant cela permet quelques séquences carrément jouissives dans leur construction ou dans le niveau de stress qui transpire de l’écran. Effet à double tranchant donc pour un film qui jongle en permanence entre l’excellence et le grotesque. Grotesque comme les apparitions de Birol Ünel par exemple ou comme des situations plus que tirées par les cheveux.
Cependant on se prend volontiers au jeu, au risque d’y laisser une paire de neurones et d’attraper une vilaine migraine. Car ça bouge, beaucoup, bien, et trop. Frédéric Jardin pousse l’immersion à la frontière de la vue subjective, provoquant une sorte d’étourdissement similaire à celui que vit le héros. Cela passe bien sur aussi bien par l’image que le traitement sonore, avec un jeu sur les contrastes et l’obscurité, transformant cette boîte de nuit en labyrinthe presque surréaliste parfois, un de ces lieux de légendes dont on ne s’échappe pas. Frédéric Jardin cherche à imposer un style qu’il peine à affirmer, proposant une image composite parfois à la limite de l’expérimental mais qui ne manque pas d’idées. Le résultat pourrait se définir comme une “belle image moche”, à savoir que l’idée est de trouver quelque chose de brut mais de le soigner, notamment avec la photographie aussi abrupte que léchée du génial Tom Stern, qui a signé entre autres la lumière de tous les films de Clint Eastwood depuis Créance de sang (et donc celle incroyable de Mystic River). Mais la mise en scène ouvertement bordélique et stylisée pousse le concept trop loin et certaines scènes deviennent illisibles, empêchant l’adhésion. Il manque une vraie canalisation de cette énergie, une forme de rigueur dans le bordel pour que le Nuit Blanche paraisse solide et non comme un shoot éphémère d’adrénaline parasité par des digressions socio-familiales à côté de la plaque ou des dialogues pas toujours très heureux du côtés des bad guys. Du très bon, une belle énergie et plein d’idées de cinéma, et du moins bon, car ces idées ne sont pas toujours très bonnes, mais ce qui est certain c’est que Nuit Blanche possède de vrais atouts et promesses d’un bel avenir.